Impensé radical & féerie nouvelle
« La musique, aujourd’hui, connaît trois dimensions: une horizontale, une verticale, et un mouvement de croissance et de décroissance. Je pourrais en ajouter une quatrième, la projection sonore (cette impression que le son nous quitte avec l’idée qu’il ne reviendra pas, une impression qui ressemble à ce qui émerge des rayons lumineux émis par un puissant projecteur): un sentiment de projection, de voyage dans l’espace, pour l’oreille comme pour l’œil. »
Edgar Varèse, 1936
Il serait bon de relire ce que le génie visionnaire de Varèse a pu entrevoir pour le devenir de la musique, mais à une autre fin : repenser, réévaluer sa théorie, à propos de la cinématographie. Notamment celle vidéo :
« De nos jours, avec les moyens techniques existants et facilement adaptables, la différenciation des diverses masses et des différents plans ainsi que la présence de ces rayons sonores peuvent être perceptibles par l’auditeur grâce à quelques aménagements acoustiques. En outre, un tel aménagement acoustique permettrait la délimitation de ce que j’appelle les “zones d’intensités”. Ces zones seraient délimitées par des timbres ou des couleurs différents et par des puissances sonores distinctes. A travers un tel processus physique, ces zones apparaîtraient de couleur et d’ampleur différentes, et dans des perspectives différentes pour notre perception. La couleur ou le timbre joueraient un rôle complètement nouveau de par leur caractère fortuit, anecdotique, sensuel ou pittoresque; ils auraient pour fonction de souligner les divers éléments comme les couleurs différentes qui, sur une carte, délimitent les différentes zones, et feraient partie intégrante de la forme. Ces zones seraient perçues comme étant isolées, et la non-fusion jusqu’ici impossible à obtenir (ou du moins la sensation de non-fusion) serait alors possible.
Vous serez conscient des transmutations des masses en mouvement quand elles traverseront différentes couches, quand elles pénétreront certaines opacités, ou quand elles seront dilatés dans certaines raréfactions. En outre, le nouveau dispositif musical que j’envisage sera capable d’émettre des sons à n’importe quelle fréquence, et élargira les limites des registres les plus graves et les plus aigus, d’où naîtront de nouvelles organisations de résultantes verticales: les accords, leurs agencements, leurs espacements – c’est-à-dire leur oxygénation. Non seulement les possibilités des harmoniques seront révélées dans toute leur splendeur, mais l’utilisation de certaines interférences créées par les partielles seront des apports appréciables. On pourra s’attendre également à utiliser l’impensé radical des résultantes inférieures et des sons différentiels et additionnels. Une féerie entièrement nouvelle des sons ! »
Edgar Varèse, 1936, conférence donnée à Santa Fé, Californie.
Cité par http://www.musiques-recherches.be/en/acousmonium/2014-12-04-15-43-45
Ainsi on comprendra mieux, peut-être, les enjeux singuliers d’une composition visuelle à partir d’instruments technologiques – particulièrement électroniques. Il a été, dès l’origine de son utilisation artistique, évident que l’image électronique est constituée de bruit, énergie particulaire et chaotique. Si l’on poursuit Varèse, le timbre, traduisible en vidéo par piqué ou grain, ferait alors « partie intégrante de la forme ».
Voilà bien une voie inédite de création, et une clé pour apprécier et appréhender une œuvre vidéo.
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