« Qu’est-ce que je regarde ? »

… pourrait être le nom de ce blog, à tout le moins la question inaudible qui le traverse.
D’abord parce qu’elle s’applique à toute expérience de l’image, dans le sens sympathique de l’interrogation et de l’énigme : que dois-je, qu’est-ce que je choisis de regarder, ou qu’est-ce qui saisit mon regard – dans et par cette image ?
Quel élément, quel motif… ? Par quelle entrée, selon quel trajet ? Quelle interrelation de forme à forme ? Une forme ou bien la structure sous la forme ? Les formes ou les creux, les plis, les vides entre les formes ? etc.
Cette question se pose pour toute proposition architecturée du regard et ainsi de tout objet filmique, et se superpose à sa réception : figure, raccord, représentation, signification, détail, figural… sont les mots (les reformulations, les traductions et les tentatives de mise en langage) de ce questionnement.
Ensuite cette question se pose comme le doute qui s’immisce, face à l’image qui peut à tout moment se révéler mirage. Question à l’endroit de cette présence qui manifeste l’absence (la représentation), de cette trace qui échappe (l’apparition), de cette apparence qui nie toute description (l’abstraction). Suspicion légitime lorsqu’elle semble vouloir révéler quelque chose, dé-couvrir une vérité recouverte, dé-voiler quelque savoir occulté, alors même qu’elle couvre l’objet qu’elle reproduit (tel un masque), et voile (oblique et filtre) le regard. Cette question se pose avec force alors même qu’on veut croire cet objet ambigu, croire à ce qu’il présente et à ce que nous voulons qu’il dise.
Croire alors même qu’il ne nous décrit rien, ne nous dit rien, sauf « je suis une image », tandis que l’on voudrait y voir une chose, une preuve, un discours.
Enfin cette question se pose depuis peu comme examen, comme mise en question : nécessité inédite face à cet objet ubique et multiple qu’est l’image devenue numérique – un objet répliqué. Les images non-numériques c’est-à-dire non issues de synthèse (le cinéma, l’art vidéo, la photographie, la peinture…) ont été transmuées de matière à masse (de chiffres et de lettres), en agrégat d’informations (encodées et compressées, décodées et traduites). La réplication en tant que processus biologique, c’est la re-production d’un gène à partir de sa moitié (séparée puis dupliquée) reconstituant l’original. Autrement dit la reconstruction d’un objet intégral à partir d’un objet partiel.
L’œuvre d’art à l’ère de sa réplication technique : l’objet reproduit non plus à partir de lui-même mais à partir de parties de lui. Est-ce qu’il reste le même en sautant de support en support, en passant de medium en medium, converti de format en format ? Qu’est-ce qui se joue par cette opération de transformation d’objet à processus ? Où se situe son origine et qu’est-ce qui la constitue ? Quelle mutation subit sa chair, et quelle possibilité d’incarnation dans la retranscription ?
La multiplicité est devenue duplicité : la reproductibilité n’est désormais plus garante de conservation substantielle ; ni même (la volatilité des supports et la variabilité des protocoles de décodages n’assurant pas sa relecture) de conservation mémorielle.
« Qu’est-ce que je regarde ? », (l’objet substitué du regard), c’est interroger encore et à jamais l’épreuve de l’image, ses modalités d’existence qui seront toujours contingentes, assujetties à ses conditions, suspendues in fine au regard.
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