Sillage – du flux à la trace

Posted on novembre 30, 2014 in Réflexions

Sillage – du flux à la trace

En 1859 le sphygmographe de Marey transcrit les pulsations artérielles : enregistrement du rythme et donc de l’intermittence, dont on peut supposer une préfiguration du fusil chronophotographique, la décomposition en intervalles du mouvement. Le flux continu (du sang, du mouvement) peut être compris et expérimenté par un moyen artificiel qui en constitue une trace. Comment ne pas imaginer le lien qui a du se faire (au moins inconsciemment) entre l’élan vital du sang, impulsé et segmenté par le rythme cardiaque, et l’enregistrement du mouvement (métaphoriquement, enregistrer la vie) ? Une sorte de « mouvement comme puls(at)ion » pour reprendre l’expression de Philippe Dubois (1).

L’objectif photographique sera ainsi associé à une mécanique reproduisant l’organique. Reproduire ne signifie pas seulement ici « imiter » ce que les sens perçoivent, mais bien produire une perception propre comme le peut l’organique, qui serait alors autonome, affranchie des limites du corps et de l’interprétation de l’observateur.

Une extension biomécanique plus qu’une simple prothèse : un œil artificiel, capable de voir ce que l’œil ne perçoit pas. En décomposant l’espace Marey découvre ainsi le ralenti, l’étirement du temps. La visée double de Marey (palier à la faillibilité des sens et à la subjectivité de l’observateur) invente par sa « méthode graphique » une autographie.

Marey_Sphygmograph

Contre ceux qui disqualifie ce procédé parce qu’il relève, comme le moulage, de la reproduction tronquée (faux mouvement du cinéma, fixité réductrice de la photo), Georges Didi-Huberman réhabilite la possibilité de connaissance par l’image dans son texte « L’image sillage » (2), en référence aux chronophotographies de Marey. La propriété singulière du sillage réside dans sa nature de compilation, à la fois trace et flux. L’image comme l’intuition peuvent, là où échouent la synthèse et le concept (c’est-à-dire le mot) rendre compte du réel par « moulage de la chose » (Rodin) et « modulation du milieu » (Monet). Bergson, pour qui le mouvement ne se conçoit que comme durée, fut donc septique face aux fixations et de décompositions du mouvement en intervalles de Marey. Et pourtant, Didi-Huberman questionne ce scepticisme :

« que n’a-t-il perçut cet art de faire trainer le temps dans certaines images, au risque d’en offusquer toute lisibilité, comme si Marey avait compris, lui aussi, qu’on ne connaitra le mouvement dans toute sa précision qu’à laisser sa place à la confusion du sillage ? »

 

Vol Goeland Marey

 

 

1. Philippe Dubois sur le travail du photographe Herve Rabot http://www.herverabot.fr/documents/textes-expositions/128-le-sismographe-et-le-calligraphe

2. Phalènes, essai sur l’apparition 2, Editions de minuit p.106

 

 

 

 

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